J’ai réouvert en septembre un cabinet après 6 ans de congé parental (instruction en famille et formation d’orthos, pas vraiment un congé cependant !). Je suis à la campagne, dans un village situé en zone très sous-dotée. Le temps d’attente pour avoir un rendez-vous dans le secteur se compte en années. Je vous partage quelques réflexions autour de cette nouvelle installation.
Prendre le temps de poser son cadre et sa façon de travailler
J’ai beaucoup discuté en amont de ma reprise avec mon mari, qui a eu lui-même une entreprise qui accueillait de la clientèle pendant 6 ans. Nous avons pris le temps ensemble de poser les choses sur ce qui avait fait que j’arrête mon activité libérale en 2015 (la naissance de mon fils, surtout, mais aussi un ras-le-bol de plein de choses liées au libéral). Il m’a aidé à cheminer et à me rendre compte que j’avais toujours la flamme pour ce métier, mais que je ne désirais plus travailler comme je le faisais.
J’ai donc décidé de plusieurs éléments, non négociables pour une reprise dans de bonnes conditions (qui sont tout à fait personnels bien sûr !) :
- travailler seulement sur le temps scolaire, pour pouvoir emmener et aller chercher mon fils à l’école, et passer mon mercredi avec lui. Mon mari étant posté, ses horaires varient, et s’il peut s’occuper des accompagnements régulièrement, je préfère être disponible dans tous les cas plutôt que de jongler avec la garderie. Mes horaires sont donc 9h-16h les lundis, mardis, jeudis et vendredis.
- m’orienter vers une patientèle qui me correspond : je ne suis pas formée en neuro, en voix, et en plein d’autres choses, mais par contre je suis passionnée des prises en soins du handicap développemental.
- travailler à la maison (projet en cours !).
- accueillir les parents/accompagnants à toutes les séances, pour un travail fondé sur le partenariat.
- pouvoir prendre une demi-journée ou une journée de temps en temps et avoir le minimum de créneaux fixes (ce que me permet Perfactive).
- proposer des prises en soins de 2 séances par semaine pour presque tou·te·s mes patient·e·s.
- facturer à l’acte ou à la semaine, sans tiers payant (sauf C2S et ALD)
- avoir des objectifs précis, partagés par l’entourage.
- refuser les contacts directs avec l’Education Nationale (Gevasco, appels, rencontres…) mais donner le pouvoir et l’expertise suffisante aux parents pour réaliser ce lien soin-pédagogie.
- si convention avec des structures, imposer mes conditions.
- ne pas avoir 15 CR en retard, et rédiger au fur et à mesure, quitte à prendre une journée pour cela.
J’oublie sûrement des choses mais l’idée globale est de travailler selon mes convictions. Mon mal-être au cabinet venait du fait que certaines choses m’étaient imposées et que je ne le vivais pas bien. Aujourd’hui : mon cabinet, mes règles.
Des outils qui facilitent mon quotidien
- la plateforme de liste d’attente et de prise de rendez-vous en ligne Perfactive dont j’ai déjà parlé ici (et mon lien de marrainage ici !) dont je ne saurais plus me passer
- la plateforme de comptabilité automatisée Indy (mon lien de marrainage ici pour 2 mois offerts sans engagement) qui est vraiment top
- de bons outils d’évaluation : Evalo 2-6, Evaleo 6-15, Evalo BB sont ceux que j’utilise le plus. J’aime aussi le PELEA qui correspond bien à ma patientèle.
- je n’ai par contre pas de logiciel d’aide à la rédactions de compte-rendus (je me débrouille très bien avec les trames sur mon traitement de textes), ni d’abonnement à des plateformes d’outils de rééducation.
Du matériel : point trop n’en faut
En reprenant une activité libérale, c’était vraiment un élément sur lequel je voulais porter mon attention. Dans mon cabinet précédent, j’avais 2 grands meubles kallax d’ikea (les 4×4 cases) remplis, ainsi que 2 meubles 2×2 cases pour les fournitures et bilans, et des caisses à coté de playmobils, dinette etc. Du matériel d’éditeurs spécialisés très cher, du matériel tout public, des ramettes d’avance, des stylos en pagaille… J’ai tout revendu en fermant le cabinet, après les avoir mis en carton, déménagés… je n’en voyais pas le bout. Je suis assez minimaliste chez moi, il est donc naturel de l’être aussi au travail.
A ce sujet, je vous conseille l’excellent article de Claire Faire beaucoup (voire faire mieux ? ) avec moins dans nos bureaux. Je le répète dans les formations que je donne aux orthos, le matériel n’est qu’un MOYEN, l’important est l’objectif que l’on a. Objectif qui peut être travaillé et atteint avec très peu de choses. Par ailleurs, travaillant avec les parents au maximum, je donne des exemples de la façon dont ils vont pouvoir travailler l’objectif à la maison, sans matériel spécifique (ou parfois des choses que l’on fabrique ensemble). C’est donc important pour moi de ne pas être dans la surenchère de matériel au cabinet afin d’être alignée avec ce que je dis .
J’ai choisi en conscience chaque nouveau matériel, parce que je le connaissais déjà et qu’il était une valeur sûre à mes yeux, ou parce que j’en avais un réel besoin. Pour savoir ce qu’il me fallait, j’ai listé mes besoins par domaine : compréhension, discrimination auditive, mémoire… avec environ 5-6 matériels par domaine, et c’est tout ! C’est certainement déjà trop pour certain·e·s, et certainement pas assez pour d’autres, mais cela me convient. J’ai presque tout acheté d’occasion en vide grenier, sur le bon coin, vinted et les groupes de matériel ortho d’occasion. J’aime aussi le matériel ouvert que je vais pouvoir utiliser de nombreuses façons différentes. Par exemple avec des kaplas je peux travailler aussi bien la programmation morphosyntaxique à l’oral, les demandes avec un classeur PECS, la conscience phonologique ou le récit écrit (et plein d’autres encore !). Alors qu’une boite de matériel très spécifique ne me permettra souvent de ne travailler qu’un domaine. Moins de matériel, moins de frais, plus d’argent pour moi, moins d’impact environnemental, moins de meubles de rangement, moins de ménage… 🙂
Ce souhait de ne pas avoir trop est intimement lié à l’expérience et à l’expertise : en début d’exercice, on est un peu perdu il faut l’avouer, et on peut penser que l’abondance de matériel va remplacer notre manque d’assurance et d’expérience. On accumule, on accumule. Puis on prend de la confiance en tant que professionnel·le, on fait des formations, on lit, on se sent (et on est) plus compétent·e. Et le matériel passe au second plan.
Idem pour les fournitures : j’ai un pot à crayons avec 1 stylo, 1 crayon de papier, quelques crayons de couleur et c’est tout ! Dans mon tiroir j’ai des petites choses supplémentaires comme des trombones, des élastiques, une agrafeuse, des ciseaux, etc. mais vraiment le minimum. Et ensuite un bloc de feuilles blanches/un bloc de feuilles à carreaux. Pas de feutres, de crayons qui sentent bon, avec des licornes à paillettes. J’ai d’ailleurs commandé sur le site Un bureau sur la terre qui propose des fournitures éco-responsables/durables, et en limitant le plastique que j’ai du mal à supporter.
Une organisation du bureau
L’objectif est de faire mon cabinet à la maison, nous faisons les travaux nous-mêmes avec mon mari. En attendant que le bureau soit prêt, une adorable collègue ortho me loue une (petite) pièce dans son cabinet. Le bureau fait 12m2, je crois n’avoir jamais travaillé dans si petit, nous sommes loin des 25m2 envisagés pour mon bureau à la maison. Et pourtant… Je m’y sens très bien ! Comme quoi ce n’est pas (toujours) une question d’espace, mais aussi d’agencement et d’ambiance. Nous avons choisi des meubles clairs, un bureau pas trop grand – il fait 120×60 cm, il y a une grande baie vitrée, un éclairage agréable et je vais mettre quelques plantes. Le fait de ne pas avoir trop de matériel aide bien, et la pièce est toujours rangée car je ne supporte pas le désordre, je n’arrive pas à m’y concentrer (et je pense que c’est le cas des patient·e·s aussi). Il n’y a rien sur le bureau en début de séance : je sors du tiroir l’ordi et le lecteur de CV si je facture, je sors les crayons si on en a besoin, pas de dossiers qui trainent, de papiers, d’agenda ou de jeux des séances précédentes. Chaque chose a sa place 🙂
Des petits plus
En commençant la séance, chaque personne présente (patient·e, accompagnant·e, ortho) choisit sa boisson s’il en veut une : eau, sirop, thé, café… J’ai une bouilloire, des sachets de thé et des dosettes de café, du sucre, quelques briquettes de jus, un peu de sirop de menthe et de grenadine dans des petits flacons, des tasses, tout tient dans le meuble sous le lavabo.
Nous démarrons souvent également par un peu de régulation sensorielle, pour aborder la séance dans de bonnes conditions. Pendant 3 minutes environ, nous pouvons écouter une méditation, une musique douce, des bruits de la nature, boire un coup, toucher des matières qui nous plaisent, il m’arrive de masser les épaules ou le crâne de mon·ma patiente, nous pouvons juste fermer les yeux et faire un peu le vide… ce dont chaque personne a besoin.
Quand mon bureau à la maison sera prêt, je ferai le maximum de séances dehors, dans le jardin : l’impact du manque de nature est énorme chez certains enfants (voir les ouvrages de Richard Louv). Je pense que cela peut réellement faire une différence, au niveau de la motivation, de la concentration, et montrer aux parents les bienfaits de la nature sur le comportement et le bien-être de leurs enfants.
Bonne ré-installation!
Et merci pour cet article qui me rejoint dans de nombreux aspects, j’affectionne le même type de suivis, je me pose également des questions au sujet de mon fonctionnement au cabinet…même si je suis très loin d’avoir votre admirable expertise.
Je me permets de vous adresser 2 questions.
Pourquoi refuser les contacts directs avec l’Education Nationale?
Il s’agit d’une véritable et humble interrogation de ma part (et certainement pas d’un jugement). Après 20 ans dans un quartier très pauvre de Roubaix où les (très jeunes) professeurs se succèdent et où j’ai subi des remarques blessantes de certains d’entre eux, j’oscille. Je suis lasse de devoir toujours expliquer des bases à des interlocuteurs qui quittent rapidement le quartier; c’est chronophage. En même temps, les patients passent énormément de temps à l’école. L’école peut être un partenaire précieux lorsque les familles ont des fragilités éducatives ou sociales.
Je suis intéressée de connaître votre éclairage.
J’ai accumulé trop de matériel moi aussi.
Quels sont vos indispensables chez l’enfant peu (pas) verbal ou porteur de handicap? C’est peut être personnel à chaque thérapeute? Au moins, une idée pour orienter un choix, pour trier?
Merci pour la générosité dont vous faites preuve.
Merci de faire avancer notre belle profession.
Merci Caroline pour cet adorable commentaire.
Pour les contacts avec l’EN, il y a de nombreuses raisons. La 1ère, et qui se suffit à elle-même : le secret médical. Nous n’avons légalement pas le droit d’échanger avec des professionnels qui ne partagent pas le secret médical, et c’est puni par la loi. Dans les autres raisons : c’est du travail bénévole que je ne peux effectuer, j’ai eu de très mauvaises expériences où je m’étais beaucoup investie sans aucun retour, voire comme vous des remarques très inadaptées, c’est chronophage… Pour les familles avec des fragilités éducatives ou sociales, il existe des services et des professionnels dont c’est le travail (assistants sociaux, éducateurs, travailleurs sociaux, AEMO, ASE…). Je fais ma part pour soutenir ces familles sur le plan orthophonique, mais je ne peux faire plus. L’école peut être un partenaire précieux pour la famille, mais pas dans mon travail à mon sens. Je sais que je peux sembler « fermée » mais je tiens aux frontières soin/pédagogie.
Mes indispensables… difficile car cela dépend beaucoup des besoins et de ce qu’aiment les enfants, de leur âge, présence d’une déficience, troubles sensoriels… Je dirais de façon générale des JEUX (dans le sens jouets) et non du matériel ortho. Jeux premier âge, manipulation, jeux sensoriels, playmobils, déguisements, kapla, legos, dînette. Très peu de boites de jeux ou de matériel spécifique. Mais cela correspond à ma façon de travailler (cadre de l’ABA-VB avec une priorité sur le jeu et la mise en place de la communication et des initiatives).
Merci encore et à bientôt !
Merci pour cette réponse très juste❤
Bonjour
J espère que votre ‘ou eau départ est une réussite.
Après 25 ans de carrière en Sessad et ime, raz le bol de l’ institution, des collègues psycho et educ qui font de la maturation cérébrale excusée le terme, et des ergo qui veulent nous piquer notre boulot. Sans parler des asso qui ne reconnaissent pas nos compétences.
Bref. J ai eu besoin de 6 mois d’arrêt et je vais m installer en libéral en zone très sous dotée.
J ai lu que vous ne faisiez pas le TP. Je m’interroge là dessus. Les familles vous font un chèque à chaque séance ? Cela contribue à leur implication certainement mais pour vous, n’est ce pas une tonne de travail administratif supplémentaire ?
Belle journée
Carine
Bonjour Carine. Non pas d’administratif, la plupart paient en carte bancaire ou en espèces, seulement quelques chèques. Et je fais le TP bien sûr pour ALD et C2S. Beaucoup moins d’administratif que si je faisais le TPI pour tous je pense (appeler les mutuelles etc non merci !).
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